2-3 leçons à tirer de la crise politique …
- David Gateau
- 18 juin 2024
- 5 min de lecture
Tout un chacun s’interroge, sur ce qui a bien pu pousser le président à prendre la décision de dissoudre l’Assemblée Nationale. De pari risqué à kamikaze en passant par pompier pyromane, chacun se fait son opinion alimentant chroniqueurs et réunions familiales multigénérationnelles de conversations animées.
Difficile de passer à côté, de faire comme si de rien n’était et continuer mes billets sur les organisations sans prendre en compte ce contexte.
Je ne prétends pas ici vous faire une analyse politique de la situation mais plutôt un parallèle entre ce qu’il a provoqué et ce que l’on peut vivre en tant que consultant en design organisationnel, c’est-à-dire une « crise ».
Inévitable crise
L’organisation, au fil du temps, au travers du comportement des acteurs, « intelligents et stratèges » développe une homéostasie, i.e. des mécanismes de régulation pour se maintenir dans des normes qu’elle a adoptées et qui satisfont plus ou moins tout le monde.
Mais cette homéostasie, qui n’a de cesse de se cristalliser au fil du temps, convertit souvent toute nouvelle initiative en échec : vous êtes face à un blocage, un énième refus d’obstacle de l’organisation.
Dans ces configurations de blocage, tant que la situation est à peu près supportable, rien ne se passera. Mais la frustration de certains murit petit à petit pour éclore à un moment donné.
De fait, l’homéostasie prend fin quand un des acteurs change et ne devient plus prévisible pour les autres. Les déclencheurs sont à trouver dans un changement de contexte qui vient percuter le système dans ses fondamentaux mais qu'un des acteurs perçoit de façon plus aigüe.

Provenant souvent de ceux qui ont le moins de pouvoir (ceux qui souffrent le plus), nous assistons là à une crise déclenchée par le directeur général (le président), qui dans un aveu d’impuissance à déployer son projet (qu’il pense être le bon), en appelle au corps social pour clarifier la situation !
Dans les mélodrames qui se construisent alors, chacun écrit sa partition qu’il récite à merveille, en adoptant des stratégies qui lui permette de justifier ses contradictions en les repoussant le plus loin de lui.
Dénouer la crise, c’est amener l'organisation à mettre à jour l’ensemble des représentations des acteurs pour qu’ils puissent les intégrer consciemment, mesurer leurs conséquences et leur responsabilité dans le tissu relationnel en place. L’exercice, d’aller introspecter en collectif leurs relations, pour faire émerger leurs contradictions personnelles n’est pas simple :
Ni pour le facilitateur, car il se doit d’aller chercher en profondeur leur représentation et on ne l’a pas forcément appelé pour ça.
Ni pour les acteurs qui se voit mettre à nu leur stratégie individuelle.
Ce n’est qu’après une reconfiguration des relations entre les acteurs en leur redonnant la responsabilité de leur actes et intentions véritables, et en se fixant de nouvelles normes/règles que le projet pourra avancer. Il ne s'agit pas de convaincre mais d'être au clair sur comment fonctionne le système.
Cherchons quelques points à retenir de cette crise :
Reconfigurer les relations pour dénouer la crise
En bref, il s’agit d’organiser un processus et un contexte adéquat afin de repenser les relations qui prévalent dans le système : l'organiser à l’échelle d’un pays ne peut s'improviser et penser que les acteurs vont le faire eux-mêmes est plus qu'aléatoire …
D'ailleurs, même organisé dans une entreprise, le processus n'est pas assuré car la cristallisation peut être telle qu'il faudra plusieurs tentatives pour arriver à des progrès.
Si on assite à certaines clarifications depuis une semaine (plus en mode règlement de compte intra parti), chacun continue sur sa ligne de nage dans une constance assez effrayante à défendre ses intérêts personnels tout en clamant haut et fort la gravité du moment. La "crise" est laissée à sa destinée, accentuant très certainement un peu plus la déconnexion existante avec les politiques, nous plaçant en spectateur d'un reality show, où drames et trahisons vont alimenter les prochaines semaines pour nous demander les gagnants les 30 juin et 9 juillet.
On ne peut pas être Juge et parti pour dénouer une crise
Si comme l'a bien montré l’école de Palo Alto, tout intervenant dans un système devient acteur du système, il ne peut jouer le double rôle de juge et parti.
« Comment alors un intervenant peut-il préserver son intégrité et éthique ? Dans sa capacité à changer de niveau logique et d’échelle dans ses propositions d’intervention. En changeant de focus, en refusant de se laisser aveugler par le récit de l’organisation qui lui offre le « patient désigné » sur un plateau. Il lui faudra batailler pour proposer à l’organisation de rentrer elle-même dans un processus d’interrogation et de responsabilisation de son expertise à fabriquer des injonctions paradoxales et des doubles liens aliénants, en d’autres termes, pour proposer une lecture et une intervention systémiques, le « patient désigné » ne serait-il pas porteur du symptôme des dysfonctionnements relationnels produits par le corps social lui-même et sa logique ? » [La logique de l’acouphène – Arnaud Bornens & Nicolas Mathieu – Enrick Editions ]
Ainsi pour dénouer la crise, et limiter le mélodrame qui se joue actuellement depuis une semaine, il faudrait une prise de hauteur pouvant apporter une lecture différente de l'ensemble; plus personne n'est au-dessus de la mêlée pour apporter ce pas de côté si ce n'est quelques médias confidentiels.
Plus encore, le seul qui souffre vraiment de la situation (et la dénonce par un acte de dissolution), c'est le directeur général ! donnant ainsi à tous les acteurs l'occasion de déployer leur stratégie sur une cible unique et auto-désigné ! Quelle occasion pour eux de tirer à boulets rouges sur quelqu'un qui s'est privé de ses propres marges de manœuvre !!!
L’appel à la responsabilisation du corps social
Pour qu’il y ait appel à responsabilisation du corps social comme semble être le message, encore faudrait il qu’il soit impliqué, non pas dans une décision qui ressemble plus à un ultimatum, mais dans la construction pour avoir la capacité de prendre en compte un minimum de paramètres économiques, sociaux et environnementaux. Des tentatives ont été faites de conduire un changement (le grand débat national par exemple) mais d’une part le corps social ne s’en est pas saisi, et d’autre part, l’exercice a été mal perçu (ou mal conduit), ressemblant plus à un exercice pour convaincre du bien-fondé du projet du directeur général. Et quand il faut 1 an à une entreprise pour construire sa stratégie à 10 ans avec l’ensemble des salariés, on doute qu’à l’échelle d’une nation, 3 mois soient suffisants. Mais qui est suffisamment "engagé" pour s'investir pendant 1 an dans des débats ?
Force est de constater que notre engagement en tant que citoyen ne dépasse pas le stade de l’opinion, dicté par nos simples intérêts personnels aussi. Nous devons peut-être de ce côté-là faire notre propre autocritique.
Conclusion : De crise en crise
Cette « crise » ouvre sans doute une longue période chaotique, non pas seulement par le fait que tel ou tel parti, plus ou moins démagogique va prendre les rennes, mais parce qu’aucun projet rassembleur et fédérateur ne verra le jour avant longtemps. L'"archipélisation" (c’est-à-dire le processus d'autonomisation de communautés qui partagent un lien commun) de notre société est une réalité que quelques mesures en faveur des uns ou des autres ne résoudra pas.
Nous vivons un moment charnière mais qui n’est que le prélude ou l'antichambre à d’autres transformations sociétales, économiques ou environnementales d'ampleur auxquelles il serait temps de réfléchir au-delà de promesses qui ne font qu’attiser nos aspirations personnelles et nos visions court-termismes.
Bref, reste le minimum à faire, aller voter !
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